JUIN 2021 // Quand la langue française réunit des écrivains de tous horizons
Pour commencer, petite devinette : qui désigne-t-on quand on parle d'une personne allophone ?
Si vous l'ignorez, la réponse vous sera donnée en fin d'article!
A présent, mentionnons quelques écrivains d'hier et d'aujourd'hui lesquels, à part leur amour pour la littérature, vous sembleront peut-être n'avoir aucun point commun : Samuel Beckett, François Cheng, Emil Cioran, Nancy Huston, Eugène Ionesco, Milan Kundera, Jonathan Littell, Anna Langfus, Andreï Makine, Atiq Rahimi, Jorge Semprun et bien d'autres?
Des écrivains provenant d'horizons différents, de cultures diverses mais qui font tous usage, intégralement ou partiellement, de la langue française dans l'écriture de leurs oeuvres.
Pour des raisons diverses qu'il vous est proposé de découvrir...
« Mon attachement à la langue française est comme l'amour de celui qui ne possédera jamais pleinement ce qu'il aime », affirme David Grossvogel, auteur d'un roman consacré à Marcel Proust.
L'amour pour une langue est souvent associé à l'attrait pour une nation, une culture, une identité. La langue française parlée dans toutes les cours d'Europe au dix-huitième siècle a fait son entrée dans les milieux de la noblesse dès le siècle suivant : qu'on se rappelle du grand poète russe Alexandre Pouchkine qui, à l'âge de dix ans, lisait La Fontaine et Voltaire dans le texte. Il n'est donc pas étonnant que notre langue ait acquis une certaine aura durant les siècles qui ont suivi.
Également originaire de Russie, Andreï Makine apprend le français dès l'âge de 4 ans, avec sa grand-mère d'origine française. Il considère le français comme sa langue « grand-maternelle », et l'utilise pour l'écriture de ses livres : citons « Le testament français », précisément d'inspiration biographique, disponible sur notre catalogue. Lauréat du Prix Goncourt, Andreï Makine est aussi membre de l'Académie Française.
Tout comme le poète François Cheng, venu de Chine et arrivé en France en 1948, son père ayant été nommé pour un poste au sein de l'UNESCO. François se lance alors dans l?apprentissage du français mais ne commence à rédiger ses premiers livres sur la pensée et la peinture chinoise qu'à partir des années 1970. Il traduit des poèmes français en chinois et inversement puis compose ses propres poèmes en langue française, certains sous forme de haïkus : on peut mentionner parmi les titres de notre collection « Enfin le royaume ».
Traductrice, Nancy Huston l'a également été. On peut même dire que cette activité a dû inciter davantage cette femme de lettre franco-canadienne à user de la langue de Molière. Tout a commencé en 1981 avec la parution des « Variations Goldberg ». Or, douze ans plus tard, Nancy renoue avec sa langue maternelle pour le livre « Cantique des plaines » refusé par les éditeurs anglophones. Elle entreprend alors de traduire ce livre en français et se rend compte que la version française sonne bien mieux que l'originale !
Une langue, en effet, possède ses propres mécanismes, ses nuances et peut parfois limiter la capacité de s?exprimer pour un écrivain dont c'est la langue maternelle.
C'est ainsi que la romancière Anne Moï nous confie : « En vietnamien, il n'y a pas de mot pour dire « vous » ou « tu ». Si j'écris sur une femme, je suis obligée de dire « petite soeur ». Si j'ai envie d'inventer une histoire où cette femme aime un homme plus jeune qu'elle, c'est impossible, la langue ne le prévoit pas. ».
Atiq Rahimi, auteur de trois premiers romans en persan, rédige « Syngué Sabour » en français, affirmant qu'il lui fallait une autre langue que la sienne pour parler de tabous. Il obtient le prix Goncourt 2008. Bien avant, Samuel Beckett affirmait que le français lui permettait d'écrire « sans style » et « froidement », en accord avec sa pensée d'inspiration nihiliste. Voir dans notre catalogue les classiques « En attendant Godot » ou encore « Fin de partie ».
Parmi les autres auteurs s?origine anglo-saxonne, rares néanmoins, sont ceux qui affirment avoir choisi le français « sans s'être posé de question », simplement influencés par de vastes connaissances de la littérature francophone, à l'instar de Jonathan Littel, écrivain et cinéaste franco-américain, auteur des « Bienveillantes ».
Bien avant lui, Eugène Ionesco, étudiant de lettres françaises dans une université de Roumanie quitte son pays pour s'installer en France où il écrit ses chefs-d'oeuvre que sont « La Cantatrice chauve », « Le roi se meurt » ou encore « Le Rhinocéros ». Son compatriote, Emil Cioran, auteur de nombreux aphorismes qui sont matière à réflexion, notamment sur la nature de l'Homme et sa condition sur Terre, prête à la langue de son pays d'adoption une identité fondamentale : « On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d?autre. ».
Et pourtant, comment dissocier pays et langue ? La romancière polonaise Anna Langfus est rescapée du ghetto de Varsovie et de la déportation. Arrivée à Paris après la fin de la seconde guerre, elle aspire à prendre un nouveau départ mais elle ne se remettra jamais vraiment, jusqu'à sa mort soudaine survenue à l'âge de 46 ans. « Les Bagages de sable » lui vaut le prix Goncourt en 1962.
Également originaire d'Europe de l'Est, Milan Kundera, bercé dans la littérature française depuis sa jeunesse en Tchécoslovaquie, écrit certains livres en français afin de marquer symboliquement la rupture avec son pays et d'exprimer son désaccord avec le régime en place. Parmi ses oeuvres que vous pouvez emprunter, signalons « L'identité », « L'Ignorance » ou encore « La fête de l'insignifiance ».
Citons enfin Dai Sijie, cinéaste et romancier chinois, interné dans un camp de rééducation, expérience que lui inspire « Balzac et la petite tailleuse chinoise » paru au début des années 2000. Installé en France depuis 1983, il est lauréat du Prix Fémina 20 ans plus tard avec « Le complexe de Di ». Ces deux titres sont disponibles dans notre catalogue.
Figures d'ancrage ou figures de passage, ces écrivains ont contribué au rayonnement de la francophonie de par le monde, guidés par une soif de bonheur, de liberté et désireux de laisser un témoignage à leurs lecteurs ou encore de les enrichir de leur expérience : une grande chance que nous avons et un honneur tout aussi grand qui nous est fait !
N'hésitez pas à réserver quelques-uns de ces livres afin de les découvrir ou les redécouvrir.
Solution de la devinette : beaucoup d'écrivains cités sont allophones, c'est-à-dire qu'ils habitent ou habitaient en France, sans que le français soit leur langue maternelle.
Dans notre catalogue

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